Considéré comme le patron le plus social du CAC 40 lorsqu’il dirigeait Danone, Emmanuel Faber a été écarté en 2021 par son conseil d’administration. Il préside désormais l’International Sustainability Standards Board (ISSB), organisme chargé de définir des normes extra-financières mondiales, et vient de publier Ouvrir une voie, un livre métaphore sur sa passion pour la montagne, son goût pour l’ascension… et le risque de chute.
Je ne serais pas arrivé là si…
S’il n’y avait pas eu, tout en amont de mes engagements, une volonté de justice aux racines très profondes. Dans un de mes premiers souvenirs, fondateur, j’ai 3 ou 4 ans et je joue dans un bac à sable, en bas de notre immeuble, dans la banlieue de Grenoble. Je pousse des petites voitures sur des routes imaginaires avec un camarade de mon âge. Une très grande dame arrive, le soulève par le poignet et le gifle, pour une bêtise que je ne comprends pas. Alors, je tire la jupe de cette dame, et, du haut de mes 3 ans, je lui dis : « Les grands ne tapent pas les petits. Les grands défendent les petits. » Je ne sais d’où me vient cette révolte face à l’injustice, mais elle a constitué un moteur puissant. A mes yeux, certaines règles peuvent être transgressées au nom d’une morale plus forte que l’ordre établi. L’autre trace que je garde de cet épisode, c’est qu’une part de moi se sent bien au ras du sol, au ras du monde. Regarder le monde d’en bas, assis par terre, permet de lever quelques tabous.
A quoi votre enfance a-t-elle ressemblé ?
Je ne serais pas arrivé là non plus si je n’étais pas né à Grenoble, au pied des Alpes. J’y ai passé une enfance heureuse. Mes parents, étudiants à ma naissance, étaient assez idéalistes. Ma mère avait une passion pour la montagne, la géographie, l’astronomie, tout en étant éprise de littérature. Mon père, un matheux qui avait été scout, était amoureux de la nature. Je me souviens encore d’un hiver, j’avais 7 ou 8 ans, j’étais sur une piste de ski, et le soleil rasant a illuminé la poudre de neige. Durant dix secondes, j’ai eu la sensation du divin, le sentiment d’être relié en même temps au plus petit et à l’immense. Cette fulgurance a laissé une trace, une question, une percée.
A peu près au même âge, j’ai le souvenir d’un énorme orage alors que nous étions dans le refuge des Bans, dans le massif des Ecrins [Hautes-Alpes]. Deux alpinistes pris sous le déluge sont arrivés peu après, casqués, trempés, essorés. De vrais extraterrestres à mes yeux. La curiosité m’a attrapé par les tripes. J’ai pensé : des gens vont donc sur cette planète… Un jour, j’irai, moi aussi ! Ces premières expériences m’ont mis au contact de ce qui est au-dessus de nous, cet étage où il y a du vent, du soleil, du froid, mais pas d’hommes. Si divin il y a, c’est là que je le croise, en montagne.
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